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Le projet

Publié par La roulotte théâtrale

Fédération Wallonie-Bruxelles/MicRomania/Vivacité/La Roulotte Théâtrale/El mojo dès walons/Mons 2015
Fédération Wallonie-Bruxelles/MicRomania/Vivacité/La Roulotte Théâtrale/El mojo dès walons/Mons 2015
« VOYAGE EN OÏLIE ». UN PROJET DE CRÉATION MULTIMÉDIA EN LANGUES RÉGIONALES D’OÏL.

Le 26 juin dernier, la Commission de la Culture et de l’Éducation du Parlement européen a adopté à l’unanimité le Projet de rapport sur les langues européennes menacées de disparition et la diversité linguistique au sein de l’Union européenne1. Ce texte, élaboré par François Alfonsi, inscrit les technologies de l’information et de la communication au cœur des stratégies de sauvegarde et de revitalisation des langues minoritaires. Selon le rapporteur, l’Union devrait encourager la production d’outils et d’applications multimédias (tablettes et DVD multilingues, plateformes d’échanges transfrontalières, méthodologies d’enseignement à distance, …) pour redynamiser la transmission intergénérationnelle là où elle est en danger.

Dans le même ordre d’idées, le Rapport présenté à la ministre [française] de la Culture et de la Communication par le Comité consultatif pour la promotion des langues régionales et de la pluralité linguistique interne2 invite à exploiter l’émergence du numérique et de l’internet pour offrir de nouveaux espaces de diffusion aux langues de moindre expansion. Le Rapporteur général, Benoît Paumier, souligne par ailleurs combien le « rôle de la culture dans l’apprentissage et la pratique des langues régionales est essentiel ». Car « l’expression artistique, notamment dans le domaine du spectacle peut donner, en particulier aux jeunes générations, l’envie d’entendre une langue, la motivation pour mieux la comprendre, et la fierté de la pratiquer »3.

Utiliser les nouveaux médias comme supports de création et, partant, ancrer les langues régionales dans la modernité, tel est précisément un des défis que le projet « Voyage en Oïlie » ambitionne de relever.

Coordonnée par le Service des Langues régionales endogènes de la Fédération Wallonie-Bruxelles, l’initiative est développée conjointement par trois opérateurs culturels belges : le C.R.O.M.B.E.L. (ou Comité roman du Comité belge du Bureau européen pour les langues moins répandues), Èl Môjo dès Walons et la Roulotte théâtrale. Un partenariat avec la chaîne radiophonique publique VivaCité fournira en outre au projet la publicité et la diffusion médiatique requises.

Le comité organisateur, composé de membres du Service et des trois a.s.b.l. promotrices4 , a sollicité une quinzaine d’auteurs d’expression régionale pour écrire les épisodes successifs d’une seule et même histoire : le voyage initiatique de deux étudiants en Lettres romanes, Pauline et Jonathan. L’itinéraire des héros décrira à l’intérieur du domaine d’oïl une boucle en quinze étapes, confiées respectivement à :

  1. Roland Thibeau (Mons/Elouges – picard borain)
  2. Annie Rak (Tournai – picard tournaisien)
  3. Jean-Luc Vigneux (Epagne-Epagnette – picard du Vimeu)
  4. Geraint Jennings (Jersey – jerriais)
  5. Matao Rollo (Rennes – gallo)
  6. Michel Gautier (La-Chaize-le-Vicomte – poitevin-saintongeais)
  7. Pierre Léger (Varennes-le-Grand – morvandiau)
  8. Bernard Chapuis (Porrentruy – jurassien)
  9. Roger Nicolas (Sugny – champenois)
  10. Jean-Luc Geoffroy (Virton – lorrain)
  11. Jacques Warnier (Liège – wallon oriental)
  12. Joëlle Spierkel (Namur – wallon central)
  13. Louis Marcelle (Courcelles – wallon occidental)
  14. Jacqueline Boitte (La Louvière – wallo-picard)
  15. Roland Thibeau (Mons/Elouges – picard borain)

Chaque écrivain est chargé de faire vivre aux deux personnages une aventure complète, dans sa région et dans la langue de sa région. Il procurera également, en vue de l’accessibilité des textes au plus large public, une traduction française de son récit. Les transitions entre les différents épisodes et leur inscription dans un schéma narratif globalement cohérent seront assurées par le metteur en scène et dramaturge Roland Thibeau, également auteur du synopsis transmis à l’ensemble des collaborateurs au projet.

Quelques traits de caractère et un début de scénario ont été adressés aux auteurs : de simples lignes directrices, qui dessinent une trame souple, susceptible d’intégrer de multiples variations de ton et retournements de situation. Pauline et Jonathan sont des héros « en devenir », appelés à découvrir au fil du voyage leur capacité d’émerveillement. Ces étudiants d’aujourd’hui évoquent, par certains aspects de leurs tempéraments contrastés, le duo formé par Casaubon et Lia dans le célèbre Pendolo di Foucault d’Umberto Eco. Les relations qu’ils entretiennent sont ouvertes à toutes les déclinaisons du sentiment.

Le périple de Pauline et Jonathan débute à Mons, alors qu’ils préparent un travail de lexicologie sur le « Combat du Lumeçon », une tradition folklorique locale. D’aucuns soutiennent que cette fête commémore l’exploit légendaire du croisé Gilles de Chin, vainqueur du dragon qui terrorisait les populations du Borinage. La lecture, dans un manuscrit, du mot prononcé par le chevalier à l’oreille du monstre provoque l’évanouissement des apprentis philologues. À leur réveil, l’étrange manuscrit a disparu et le terme s’est effacé de leurs mémoires… Désireux d’en savoir plus, Pauline et Jonathan décident de se mettre en quête du mot perdu, avec pour seul indice la certitude qu’il s’agit d’un mot en langue d’oïl. À ce moment, ils ignorent encore qu’ils ont acquis la faculté de « xénolalie » : ils sont en mesure de comprendre et de parler toutes les langues.

Le « Voyage en Oïlie » vise prioritairement à mettre en valeur la spécificité et la diversité des langues et cultures minoritaires du domaine d’oïl5. Reposant sur le principe de l’écriture collective plurilingue, le projet a également pour objectifs d’explorer de nouveaux modes de création en langues régionales et d’affirmer la capacité de ces parlers multiséculaires à véhiculer un discours résolument contemporain. L’expérience invite les auteurs à revisiter le patrimoine de leur région et à inventer ensemble une histoire et des supports permettant d’y intéresser le lecteur et le spectateur d’aujourd’hui.

Ainsi définie, l’entreprise articule deux enjeux majeurs : abolir les frontières – physiques et mentales – qui isolent les écrivains d’expression régionale au sein de leurs aires de diffusion respectives, d’une part ; déconstruire les préjugés traditionnellement associés aux œuvres produites dans les langues de faible expansion, d’autre part. Car trop souvent encore, campanilisme, passéisme et amateurisme sont les traits qui discréditent aux yeux du grand public, parfois à juste titre mais le plus souvent a priori, les productions culturelles vernaculaires.

Plus concrètement, les promoteurs du projet ont établi un calendrier de travail précis. Au cours du premier semestre 2014, les auteurs ont adressé au Comité organisateur une première version de leur texte, accompagnée de sa traduction française. En juin 2014, ils prendront connaissance des différents épisodes du voyage de Pauline et Jonathan, intégrés par Roland Thibaut au sein d’un seul et unique récit. Ils disposeront alors de deux mois supplémentaires pour apporter d’éventuelles modifications à leur contribution. Au cours du second semestre 2015, les textes seront publiés aux éditions du C.R.O.M.B.E.L sous la forme d’un recueil bilingue illustré. En octobre 2015, une lecture-spectacle multimédia, mise en voix et en espace par la Roulotte théâtrale, sera créée et filmée à Mons, dans le cadre de la désignation de cette ville comme capitale européenne de la culture.

Le projet prévoit en outre la constitution, à partir de mai 2014, d’un site diffusant des vidéo-reportages in situ, des interviews d’auteurs, une galerie photos et, in-fine, la lecture-spectacle réalisée à Mons. Reste à espérer que ce dernier sensibilise les jeunes générations à la sauvegarde et promotion des langues d’oïl.

« OÏLIE, N. PR. F., ENSEMBLE DES RÉGIONS OÙ SE PARLENT LES LANGUES D’OÏL. »

Comme tout bon néologisme, le terme « Oïlie » ne se retrouve pas dans les ouvrages de lexicographie, mais est-ce une raison pour ne pas en user? Forgé sans vergogne sur son compère « Occitanie », il permet d’englober toutes les langues d’oïl, langues que l’on considère encore trop souvent comme des « dialectes du français » alors qu’elles sont les héritières directes du latin vulgaire qui s’est implanté sur un substrat celte, dans le Nord de la Gaule, à la suite de la conquête par Rome, langues qui se sont imprégnées, à la suite d’invasions ultérieures, d’éléments provenant d’un superstrat germanique.

Trop souvent encore perçues comme des formes « dégénérées » d’un hypothétique « bon français », elles ont été longtemps méprisées par ceux qui ne juraient que par la langue du pouvoir; elles furent notamment traquées par des générations de maîtres d’école qui considéraient, en toute bonne foi, que leur usage avait une influence néfaste sur l’apprentissage de la langue française, le seul « ascenseur social » à leurs yeux.

Elles suscitèrent néanmoins de l’intérêt de la part de certains linguistes au cours du XIXème siècle, eux qui adoptèrent pour leur discipline le terme de dialectologie, étude des dialectes, un terme à la polysémie dommageable. Il n’était guère question à l’époque d’envisager autre chose que de la recherche scientifique mais il faut, en cette occurrence, leur rendre grâce pour la qualité de leurs travaux; en revanche, la protection, voire la promotion de ces parlers les concernaient relativement peu.

Il faudra attendre la fin du XIXème siècle et le début du XXème, selon les régions, pour qu’apparaisse la volonté d’assurer la pérennité de ces parlers menacés par l’inexorable processus diglossique et que naisse le souci de les présenter comme des outils de communication et d’expression qui constituent une part essentielle des patrimoines régionaux.

Il n’y eut pas en Oïlie, en raison de facteurs sociologiques aussi divers que complexes, l’émergence d’un mouvement semblable à celui du Félibrige; chaque région connaissant des situations spécifiques qu’il n’est pas loisible d’envisager ici.

Ce ne sera donc qu’à la fin du XXème siècle que se constituera une coordination des associations de défense des langues d’oïl. À l’origine, cette coordination – Défense et Promotion des Langues d’Oïl (DPLO) – se cantonna à la France; mais, très rapidement, elle s’internationalisera car les langues ne connaissent pas les frontières politiques et c’est notamment le cas des langues d’oïl.

Le picard – outil littéraire majeur au moyen-âge – est une langue de France mais aussi de Wallonie; il en va de même pour le champenois ainsi que pour le lorrain roman qui se parlait, en outre, dans quelques villages du Grand-duché de Luxembourg; le wallon s’entend, lui aussi, en France et se parlait autrefois dans quelques communes de ce même Grand-duché. Le normand est bien sûr d’usage en France mais aussi dans les Îles de la Manche qui sont rattachées à la couronne britannique. Le jurassien se pratique dans le Canton et République du Jura, le vingt-sixième canton helvétique, mais en aussi dans la « France voisine », en Franche-Comté…

On pourrait évoquer la présence du wallon dans quelques communautés du Wisconsin et rappeler que bon nombre de traits du poitevin-saintongeais ont marqué le français du Canada. Quant aux créoles à base française d’Afrique ou d’Amérique, il est certain qu’eux aussi, ils ont subi l’influence du parler des navigateurs et des colons « oïlophones » originaires des côtes occidentales de la France, eux qui, n’en doutons pas, n’usaient pas uniquement de la langue française.

L’aspect international de l’Oïlie ne peut qu’intensifier sa diversité; les aléas de l’histoire, la géographie, l’évolution socio-éonomique sont des facteurs de différenciation indéniables. Le poitevin-saintongeais aurait pour certains un substrat d’oc; le wallon, se caractérise par un important superstrat germanique et le normand des Îles de la Manche par un adstrat anglais évident. Le gallo possède quelques traits empruntés au gaélique breton tandis que le champenois et le bourguignon se sont mieux conservés dans les poches de résistance que sont les régions montagneuses ou fortement boisées…

Cet aspect international a aussi des conséquences sur la situation officielle de ces langues. C’est ainsi que le jurassien est pris en compte par l’article 42 de la constitution du Canton et République du Jura et que la Fédération Wallonie-Bruxelles reconnaît, par un décret datant de 1990, l’existence des langues régionales endogènes parlées sur les aires où elle exerce ses compétences, à savoir, pour ce qui est des parlers romans, le champenois, le lorrain, le picard et le wallon.

On retrouve cette même diversité pour ce qui concerne ces langues face à la Charte européenne pour les Langues régionales ou minoritaires. La France a signé cette Charte en 1999 mais ne l’a pas encore ratifiée; néanmoins dans son projet d’instrument de ratification, les langues d’oïl sont toutes reprises. La Suisse a signé et ratifié ce document en 1997 mais n’a pas fait figurer le jurassien dans la liste des langues protégées. Il en va de même avec le normand des Îles de la Manche qui est ignoré par la Grande-Bretagne dans son instrument de ratification datant de 2001. Oserait-on rappeler que la Belgique n’a ni signé ni ratifié ce document?

Il y a donc encore du chemin à parcourir pour que ces langues trouvent la place qui leur revient de plein droit; néanmoins, il importe de demeurer optimiste et de remercier Dante ALIGHIERI (1265 – 1321). Dans son De vulgari eloquentia, il a classé les langues romanes en fonction de la manière dont leurs locuteurs disaient « oui »: les langues de si, les langues d’oc et les langues d’oïl. Ce oïl, oyi remonte à la formulation latine d’acquiescement hoc ille (fecit) où l’on usait de deux démonstratifs, une forme de pléonasme qui consiste à dire deux fois « oui ». N’est-ce pas là un motif majeur pour les pérenniser, ces langues qui positivent tellement qu’elles marquent doublement l’approbation ?

  1. Ce rapport est disponible en ligne à l’adresse suivante : http://www.europarl.europa.eu/sides/getDoc.do?type=REPORT&reference=A7-2013-0239&format=XML&language=FR

  2. Ce rapport est disponible en ligne à l’adresse suivante : http://www.culturecommunication.gouv.fr/Actualites/Missions-et-rapports/Redefinir-une-politique-publique-en-faveur-des-langues-regionales-et-de-la-pluralite-linguistique-interne

  3. Redéfinir une politique publique en faveur des langues régionales et de la pluralité linguistique interne. Rapport présenté à la ministre de la Culture et de la Communication par le Comité consultatif pour la promotion des langues régionales et de la pluralité linguistique interne présidé par Rémi Caron Conseiller d’État. Rapporteur général : Benoît Paumier, Inspecteur général des affaires culturelles, juillet 2013, p.34.

  4. Le comité organisateur est composé de : Annie Rak (Roulotte théâtrale, Vivacité), Nadine Vanwelkenhuyzen (Service des Langues régionales endogènes), Pierre Arcq (Èl Môjo dès Walons), Jean-Luc Fauconnier (C.R.O.M.B.E.L.), Roland Thibeau (Roulotte théâtrale).

  5. Soulignons à ce propos que les promoteurs du projet ne partagent nullement les réserves émises dans le document Redéfinir une politique publique en faveur des langues régionales et de la pluralité linguistique interne, op. cit, p. 15, au sujet de la spécificité des langues d’oïl, lesquelles pourraient, selon le Rapporteur, être « considérées soit comme des langues à part entière, soit comme des variantes dialectales du français ». Rappelons en outre que les langues régionales endogènes de la Fédération Wallonie-Bruxelles, en particulier les langues d’oïl pratiquées sur le territoire où ladite Fédération exerce ses compétences – ont été officiellement reconnues par Décret du 24 décembre 1990 (cf. http://www.languesregionales.cfwb.be/index.php?id=1220#c2160)